En vidéo (c’est mieux) : Une question de vocabulaire pour bien démarrer.
Les mots ont un sens, et autant se mettre d’accord dès que possible sur les concepts dont on risque de parler ensemble de temps en temps :-)
Entre Ubërisation, révolution numérique, disruption, transition digitale… il y a probablement à échanger, concrètement, pour identifier ce qui est quoi… et ce qui n’est rien ! :-)
Au gré de mes échanges, j’en arrive régulièrement à parler de « transition digitale »… mon terme préféré pour désigner ce qui s’apparente pour moi à une adaptabilité de chacun face à des changements, mus pour certains par le digital.
J’en entends aussi pas mal d’autres… et j’ai l’impression qu’ils sont utilisés à tort et à travers pour la plupart.
Sommes-nous censés définir un vocable clair et porteur de sens, sommes-nous censés tout envoyer valser, sommes-nous censés passer sur tout ça sans trop y penser ?…
Je crois que la question nous appartient… et la réponse aussi ! :-)
Salut Renaud,
Je te remercie d’abord pour ta vidéo, qui me permet de reprendre certains débats que nous avions déjà ensemble, il y déjà au moins dix ans. La prise d’âge nous permettra sans doute d’être moins affectés par les positions divergentes et difficilement conciliables des uns et des autres. Puisque tu souhaites que nous (qui te regardons) réagissions, et bien je le lance… J’aurais pu essayer de le faire en vidéo, peut-être une prochaine fois.
En ce qui me concerne, « l’Uberisation » et « Amazon » ne sont pas du même ressort. L’un concerne plus précisément la disparition du salariat dans certains domaines et son remplacement par l’auto-entrepreneuriat, l’autre, l’émergence d’une structure privée cherchant par tous les moyens à atteindre une situation de monopole. Un point commun est que l’une et l’autre s’appuient sur des évolutions majeures des réglementations des États. Tous deux bénéficient d’un statut transnational permettant une optimisation fiscale impossible pour une boîte française qui paie ses impôts en France quand elle fait du business en France. C’est, de mon point de vue, ce qu’il y a de plus critiquable dans ces deux boîtes. Sans s’appuyer sur cette possibilité, rien ne dit qu’elles auraient atteint leur importance et leur réussite actuelle.
Par ailleurs, Uber est une entreprise qui bénéficie également de conditions conjoncturelles particulièrement favorables et qui mène, de mon point de vue, des pratiques assez scandaleuses. Avec a situation actuelle de l’emploi, la peur de la précarité omniprésente pour les personnes les moins qualifiées, et le besoin d’un complément de revenu indispensable pour beaucoup, il existe une quantité phénoménale de personnes attirées par le métier de chauffeur VTC. Cet état de fait a une importance considérable dans le business d’Uber, dans la mesure où il est toujours super facile de trouver des personnes susceptibles d’accepter des revenus très faibles et que ceux qui décident d’abandonner ce job sont vites remplacés. Comme, par ailleurs, et tu le soulignes fort justement, les taxi traditionnels rendent un service médiocre et coûteux. Il donc existait une place à prendre dans ce créneau, et Uber s’y est engouffré judicieusement, en exploitant très efficacement (et avec mérite) les technologies de localisation et la généralisation des smartphones connectés au web. La où Uber abuse, c’est : (1) de sa position ultra-dominante qui lui permet aujourd’hui de récupérer plus de 20% du prix d’une course (sans aucune raison valable vis-à-vis du coût réel de transport et suite à de fortes hausses par rapport à ses débuts), (2) d’une arnaque au statut d’auto-entrepreneur (puisqu’en réalité les chauffeurs sont subordonnés à Uber – s’ils refusent trop de courses, ils sont virés du système – et sont donc réellement libres et doivent se tenir prêt à répondre aux trajets proposés alors que leur temps d’attente n’est absolument par indemnisé, c’est d’ailleurs ce qui fait requalifier les chauffeurs Uber en salariés dans certains pays), (3) sur le coût du travail (les gains réels hors frais des chauffeurs sont finalement très inférieurs au SMIC : autour de 6€/h net).
Pour Amazon, je vais aller à l’essentiel. Ce qui est choquant c’est que la boîte a toujours eu une ambition hégémonique : grâce à un soutien financier démesuré, l’entreprise a conduit pendant plus de 10 ans une stratégie déficitaire pour atteindre son seul et unique objectif, un quasi-monopole de fait. Ce qui les lois antitrusts auraient du rendre impossible, et ce dont pleins de start-uppers, avec de super idées, ne peuvent bénéficier (10 ans d’investissements massifs malgré un déficit chronique !). Aujourd’hui Amazon peut parfaitement faire de l’optimisation fiscale avec l’accord des pays dans lesquels elle fait du commerce (trop heureux de récupérer des emplois sous-qualifiés, pénibles et très mal payés dans leurs entrepôts géants implantés dans des régions ayant fait encore des efforts fiscaux pour s’assurer de la présence d’Amazon chez eux plutôt que dans le village voisin), négocier des frais de livraison beaucoup plus bas que les autres acteurs de la VPC, et peut-être prochainement monter ses prix une fois toute concurrence réduite quasiment à néant. Et je ne parle pas même des conséquences indirectes telles que la disparition des librairies et de nombreux commerces de proximité qui ne peuvent, de toute façon, se battre à armes égales face à ce géant.
Pour conclure, sur ma longue réaction, je pensais rebondir sur les termes de « darwinisme » et « d’intelligence » que tu évoques. Le premier n’a strictement aucune valeur morale, et c’est, au contraire, en utilisant son « intelligence » que l’être humain a su, malgré ses capacités physiques réduites, peu-à-peu, s’adapter à son milieu, décupler sa créativité et se protéger des aléas de vie. En effet, le darwinisme intrinsèquement n’a aucune intelligence : c’est le hasard qui engendre l’évolution finalement sélectionnée par la rudesse de l’environnement. Or, c’est bien notre intelligence qui nous permet aujourd’hui d’avoir une vie moins dure, une société globalement apaisée, et qui dénonce aujourd’hui le sexisme, le racisme, l’indifférence par rapport au handicap, etc. alors qu’hier il s’agissait d’éradiquer l’esclavage, de condamner le viol et le meurtre, d’éduquer et de soigner, etc. Ce qui n’avait a priori, rien de naturel, et persistait malgré le darwinisme pendant des milliers d’années de transformation de l’Humanité… Ainsi, pour moi, l’évolution de notre société, accélérée par les mutations du numérique, ne doit pas engendrer un darwinisme brutal et la disparation arbitraire de tel ou tel métier ou la précarité des non-adaptés. Nos valeurs et notre intelligence doivent, au contraire, être mises au service de tous pour que ces changements se fassent plutôt dans la solidarité, et pour le bien-être de tous. C’est normalement le sens de l’action publique et de la politique véritable, qui nous oblige à légiférer face à des entreprises comme « Uber » ou « Amazon » dont les objectifs de résultats, les poussent à des comportements immoraux, ce dont on ne peut d’ailleurs pas les accuser dans la mesure où ce n’est pas leur rôle de faire de la politique ou du social, mais juste de mener efficacement leur business.